Jean-Noël Chrisment
Connexions, 4
Sur le bris, le rythme, et le bruit
Rivage
Bien sûr le bruit de l’eau brise complètement le calme, le repos,
mais le calme aussitôt reprend, s’affirme, persévère,
mais ce repos n’est qu’un répit bref où le souffle
à peine se reprend,
s’est à peine repris
que la vague suivante rompue à nouveau laisse au vent
le champ libre,
et même pour si peu de temps, l’espace y développe un manque
saturant.
Quelque chose pourrait se dire sur le bris, le rythme et le bruit de l'eau,
si l'effet d'une mort transitoire n'en brisait pas
chaque velléité.
A chaque fois l’oreille plonge au fond d’un court instant
qu’elle prend pour une durée suspensive de
tout le reste à vivre.
C’est du temps sous forme de vent iodé, de brise pensive
qui chuinte en frottant les feuillages penchés.
A chaque rupture de l’eau, chaque fracas de l’o-
céan éclate aussi, comme un sanglot que l’eau du sang
rince le long des tempes, l'onde
de choc même du sang.
Comme être là sur ne pas l’être prend le pas, et puis le cède.
à écouter l’océan l’homme en soi déferle peu à peu,
la houle gonfle sa chemise,
chaque vague lui envahit les yeux.
Derrière les cheveux qui semblent un évidement
de la tête,
le vent
laisse libre le chant.
Et les mains hument l'affluence des tempêtes.
La mort qui nous représente sans fin brisée
C'est à chaque fois
ce qui disparaît
qui se redéploie,
dans chaque phrasé.
C'est à dire soi
en tant qu'océan,
et l'effacement
aussitôt de ça.
Le bruit de l'eau c'est
l'eau qui vient briser
la mort prise en tant
qu'homme,
en se brisant.
Les mains hument l’affluence des tempêtes
Dans le fond
c’est le vent
qu’un frisson
leur apprend.
L’air marin
déconcerte
peu ces mains
large ouvertes —
Elles ont
vers le haut
les façons
des oiseaux.
On dirait
qu'elles hument
le grand frais
dans l’écume,
A leur creux
se révulse
la mer que
le sang pulse.
C’est un grain
si violent
qui leur vient
par instants.
Mais l’orage
où l'eau jongle
n'en saccage
pas les ongles,
ni la pluie
redoublée
n'en détruit
le toucher,
ni le vent ,
dont l'air jette
l'excédent
de tempêtes.
Des oiseaux
elles ont
ce qu'il faut
de façons.