Connexions, 3
Le versant vers la mer
1
Si, plus jeune, la pluie détrempe le chemin, le soleil, à travers la grisaille bleutée, sur le fond dense, bleuissant, de la forêt, c’est depuis l’autre bord du temps qu’il intervient.
Et le long de la piste boueuse la vie progresse, elle patauge, elle glisse, elle perd l’équilibre un instant, oups, elle monte vers le col, vers le ciel bas qui l’échancre, et voici
qu’elle descend déjà les pentes au vertige de vert, de jaune, mordorées d’une ombre pâle de rose par on ne sait quelle végétale effervescence de plumets à longues tiges.
La vie descend le long des rampes de fougères, de plantes drues, de hautes herbes délicates, dans ces dévalements rosés de givre moite, elle se déleste du temps, se fait légère,
aérienne, elle voudrait tout ralentir, ne plus bouger, tout en haut du rose et du chaud, comme les vols stationnaires des oiseaux, rester là, et ne plus peser, juste sentir
l’aérienne liberté de l’aile en soi, laisser les yeux, uniquement les yeux, descendre jusqu’en bas, dans la baie cernée d’ombre et de cendre où l’océan reste l’ailleurs qui reste là.
La vue depuis le col, si nette, si plongeante, suffirait. Ce que dit, redit l'eau à la terre, ce que l'ailleurs au bord de l'ici réitère, elle en fait une mutité plus éloquente.
La vue à quoi pourrait se réduire la vie, sa pente, si le corps ne la redescend plus, cette façon de voir que sera devenu le silence ― à la plainte du vent près ―, suffit.
2
Le vent qui s’est levé d’on ne sait quelle détresse, quelle révolte, ripe sur les très longs écroulements de l’herbe. Détresse, ou révolte, les yeux empoussiérés lui ont laissé la leur.
Nous descendons, nous, sans révolte, cette pente vers la mer, entre les masses de fleurs jaunes et les graminées roses veloutant les rochers noirs.
Seuls poids visibles d’os, l’air en sollicite la peau velue d’acquiescements toujours acquis.
Mais il y a de frêles fleurs rouges piquetées de jaune clair, doré, qui sont les douleurs recyclables dont souffre toute une foule de visages tuméfiés, rebelles, transparents —
de fragiles yeux rouges frottés à en voir des étoiles.
3
Ce dont le vent lape la terre — langues bleuies, vertes, sans bouche ni voix — y laisse des fuseaux, des losanges fins, de luisants aplats végétaux.
Feuilles, folioles, étirements d’herbe, l’effet de cette salive de l’air, nous en suivons l’effervescence, d’un vert émoussé, bulleux, sur les pentes, bleuies, de fougères jaunes ;
un soleil de biais y pétille, très loin, jusqu’à la mer grisée, ainsi, pétille dans les non-fougères de nos cheveux, les non-folioles de nos yeux,
nous qui avons pourtant appris à dire oui.
|