Jean-Noël Chrisment

Connexions, 1

 

Le monde à l’endroit

 

 

LUMIÈRE, VENT, OISEAUX

 

Et quand la voix du vent de mer, abandonnée par ses oiseaux
dans la raideur rocheuse,
sur les pentes velues d’essences vertes jaunies, s’épuise
en de petites langues bleues ajustées aux feuilles,
c’est un sang d’homme, avec elle, qui s’épuise.
La lumière, elle, est si limpide sur le noir du basalte,
si dorée sur le vert des odeurs,
qu’elle échappe à toute fatigue, à toute soif.
La lumière n’est pas le vent, ce sont deux excès différents.

C’est pourquoi les hommes que ferme un excès de dureté,
sans y croire, d’un bord de terre scrutent l’autre.
Et la distance entre les formes, ils apprennent de la lumière
comment y échapper.
La façon d’échapper à ce destin de langue, de fatigue, de soif.
Aucun dédoublement des formes, des idées,
n’écrase plus les fleurs qu’ils respirent,
aucune purification n’en compromet l’odeur.
La lumière n’est pas le temps, elle n’éclaire pas leur sang.

L’ailleurs est à portée de voix ;
l’altitude, à hauteur de bouche.
Le monde, en un seul exemplaire, est là, devant eux,
boisé,
odorant,
terrestre,
mortel.
Il y a de grands oiseaux blancs nichés au bas d’anciens volcans.

 

CE VENT AUX MARQUISES

 

Il n’y a pas de fond où buterait le vent,
tous les appuis qu’on envisage se dérobent,
rien ne résiste, forêts compactes, versants
drus plongés dans la mer, peaux loyales et probes

que souvent nous avons déçues d’y flotter, rien
de ce qui paraissait ferme, ou plus décisif,
n’arrête plus le vent — Alors toutes ces mains
désertes, pensez donc, avec leurs doigts votifs,

et leurs ongles, à peine aptes à refléter
l’intenable lumière et les oiseaux qui passent,
les déchirures des nuages qui passaient,
toutes ces mains cherchant à retenir l’espace,

qu’auraient-elles de plus que les forêts d’odeurs
ou les obliquités de l’herbe. Cet effort
patient que fournit derrière elles, le corps
des hommes, ne retient du vent que sa douleur

de fuite sans repère.
Il n’y a pas de bride
à cet élan de l’air qui s’emporte —
Et c’est beau,
le soir, les hommes, dont les cheveux presque évident
la tête,
dans les vagues lavant leurs chevaux.

 

UN BORD DÉPASSÉ

 

Devant la maison
flambe l’arbre en fleur.
Le bois du ponton
déjà semble ailleurs.

Le monde après ce
ponton de bois gris
posé sur le bleu
commence — et finit.

Les évènements
de l’eau vont mûrir
très peu, et le temps
reste à définir.

Un ailleurs d’idées
et de formes pures
n’y sera jamais
qu’une autre gageure.

L’altitude même
est un vieil échec,
et chaque poème
l’éventre du bec.

 

 

 

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